Stratus, 2018

Série, pierres de gneiss marouflées de papier imprimé du dessin Schiste argileux (Sion) / Exposition Stratum/s, résidence La Ferme-Asile, Sion, Suisse.



Notes en résidence / La Ferme-Asile, Sion, Suisse : « Dessins d’air et de lumière sur les pics enneigés, effluves de pierres, le graphisme des flots. Des bâtisses médiévales aux angles tranchés qui s’empilent et s’enchevêtrent, tels des reliefs escarpés. La perdition de l’espace orthogonal dans les glaciers qui s’arrachent et se soulèvent. Des roches éclatantes qui s’effritent, sans les toucher. Arracher ainsi d’un mur, en lisière de Sion vers ses bisses, une argile pétrifiée qui se délite. Rendre ses strates infimes dans le processus du trait qui cherche et hésite. Insister, reproduire, entasser et étaler, recouvrir. Du fragment à l’environnement. Un espace friable, sans effondrement. La force du tourbillon, entre fleuve et air, au nom non élucidé, qui sert ici de point de repère. Et puis des pierres peut-être comme des nuages échoués. Et si le lourd était léger. Et inversement. La densité en apesanteur. »


Philippe Piguet, « Anaïs Lelièvre, à l’origine », Anaïs Lelièvre, Chantiers (prémices), Arles, Diffusion pour l’art contemporain, Semaine 20.19, 2019.
« Le rapport qu’Anaïs Lelièvre entretient à la marche et l’intérêt qu’elle s’est découverte pour les pierres lors d’une résidence en Islande participent à situer sa démarche à l’aune d’une réflexion duelle : la place de notre corps dans l’espace et la prise de conscience des changements d’état de la nature. A ce titre, l’une de ses pièces les plus marquantes semble bien être cette série de 109 éléments, intitulée Stratus (2018), faite à partir de pierres de tailles variables, récoltées au glacier de Ferpècle, en Suisse, portant tout à la fois la brisure de leur chute et la courbure de l’érosion. Celle-ci procède du marouflage d’impressions numériques, au motif réduit du dessin d’une pierre en schiste argileux lui ayant servi de modèle, sur tout un lot de pierres stratifiées en gneiss. La façon qu’elle a de recouvrir celles-ci en prenant soin d’épouser toutes leurs aspérités aboutit à la création d’objets quasi cloniques issus d’un autre monde. Il y va là d’une problématique récurrente chez l’artiste qui en appelle aux notions conjuguées de mémoire, de multiple, d’éclatement, d’enveloppe et de stratification, lesquelles fondent ontologiquement ses recherches. »


Entretien avec Frédérique Le Graverend, « Le même et le différent », revue Area, n° 35, 2019, p. 49-53.
« - N’y-a-t-il pas contraste entre la fragilité du papier et le poids des pierres ?

  • Bien sûr, mais de manière contradictoire car le papier en quantité devient très pesant et la pierre a aussi sa fragilité. La pierre continue d’évoluer même si elle nous semble inerte. On a l’habitude de scinder le minéral et le vivant ; pourtant de nombreuses études scientifiques pointent leurs relations. La pierre évolue, mais à une échelle que nous ne pouvons pas appréhender car elle est très loin de celle de notre corps.
    Lors d’une résidence à la Ferme-Asile à Sion en Suisse l’été dernier, j’ai travaillé à partir d’une pierre très friable, un schiste d’origine argileuse, plus fragile encore que du papier. J’ai pu l’arracher d’un mur à la main. A peine la touche-t-on qu’elle s’effrite, tombe en poussière et prend alors l’aspect de papier en cendre.
  • C’est cette contradiction que l’on retrouve dans la série Stratus.
  • Lors de cette résidence, en parallèle de l’installation Stratum, j’ai produit la série Stratus à partir des photocopies numériques du même dessin de ce schiste argileux. Ces reproductions sur papier sont marouflées, morceau par morceau, sur des pierres de gneiss, plus solides, mais brisées et dont les strates pourraient aussi se déliter. Ainsi enveloppées, les pierres semblent légères, nuageuses. C’est le papier qui donne cette sensation d’allègement. Le dessin ne cherche pas un modelé qui alourdit ; le volume est rendu par un graphisme linéaire et vibratile, par une multiplication des tracés. C’est peut-être la gestualité qui ravive le dessin. Les strates de son errance.
    En fait j’utilise beaucoup de papier et comme je mène une vie de nomade de résidence en résidence, je transporte des valises remplies de papier, très lourdes à porter. »