Atemoia 5, 2019

Installation, murs et sol en PVC, modules en acier électrozingué, adhésif imprimé du dessin Atemoia (Juazeiro), 2,6 x 2,45 x 2,15 m / Exposition En quête d’espace, Espace Art absolument Paris, 2020-2021 / Après une résidence au Brésil (CArtes, UNIVASF, Juazeiro).



Atemoia 5 se déploie après coup, à partir du dessin d’un fruit découvert lors d’une résidence de création en 2017 au Brésil, et choisi pour sa forme, expressive d’une dynamique de croissance. Telle une graine, le dessin est lui-même mis en croissance, rétréci jusqu’à l’infime du point pour être ensuite progressivement agrandi. Ce mouvement organique se croise ici à des constructions en acier, comme des patrons de maison qui n’auraient pas fini d’être assemblés et qui pointent ainsi une dimension transitoire de l’architecture, entre croissance et décroissance. L’expérience au Brésil porte une dualité de processus, rencontrés dans le même temps : celui d’une grande fertilité et diversité végétale, avec la présence récurrente de fruits vendus aux abords des routes ; et celui d’une précarité architecturale, les étendues de favelas aux assemblages composites et fragiles, à l’échelle des paysages de montagnes ou mêlées aux immeubles au cœur de grandes villes, et les tas de matériaux de constructions laissés à l’abandon du fait de chantiers interrompus, marquant l’esthétique urbaine et la manière de se déplacer.


Notes en résidence / CArtes, UNIVASF, Juazeiro, Brésil : « Première vision du Brésil, en ouvrant une porte donnant sur la ville, une rue certes, mais autour de l’indéfini, du transitoire, du sable au sol. Sur le chemin, des favelas de couleurs et de précarités, des étendues de palmiers et de cactus, des vendeurs de fruits, mais aussi des piles de briques, des tas de mortier, ici et là, au bord de l’autoroute accidentée, puis plus tard dans les villages et encore dans la ville. Des bâtisses de briques rouges sans revêtement, des maisons en construction ou laissées inachevées, et encore des briques qui se découvrent, des murs tant stratifiés par l’usure qu’ils semblent à peine tenir. Dans cette première vision, la coexistence désorganisée autant qu’organique du projet et de l’altération, du mouvement et du suspens. Et d’une vie qui fonctionne, ainsi. »


Anaïs Lelièvre, « Espace critique entre installation artistique et immersion écologique », in L’intelligence des plantes en question, ouvrage collectif sous la direction de M.-W. Debono, Paris, Hermann, 2020.
« Atemoia se déploie à partir du dessin d’un fruit découvert lors d’une résidence de création au Brésil. Sa forme irrégulièrement sphérique est rythmée d’excroissances dont les reliefs augmentent progressivement entre les deux extrémités et manifestent, dans cet état arrêté, son processus de croissance passé. Le dessin fait émerger cette figure d’une multiplicité de tracés vibratiles, traces d’une percussion de la pointe de l’outil rotring sur le support, dans une tension qui vise à traverser les surfaces pour restituer des dynamiques internes. Face à la complexité infiniment détaillée de la texture du fruit, chaque tentative de transcription est éprouvée comme ratée et dérive en ratures (incluant aussi du texte comme autre tentative de formulation), dont la quantité insistante fait in fine émerger la qualité d’une autre vitalité, celle interne au processus graphique. Dans sa tentative d’approcher le sujet au plus près, le trait ne fait que s’en éloigner et sa trajectoire devient errance, le dessin achevé persistera « non fini ».
Cet état « non fini », plus qu’une esthétique historiquement ancrée, est aussi ce qui permettra la mise en acte d’une suite : les dessins déployés en installations sont nommés « dessin-source » ou « dessin-matrice », désignant un statut transitoire qui ouvre à des devenirs indéfinis, à la fois imprévus et indéfiniment multiples. Par un processus de reproduction numérique, généralement sur du papier de format A3, ces dessins sont multipliés à profusion, avec des rétrécissements et agrandissements progressifs qui les font tendre jusqu’à l’infime du point ou l’étendue de la surface. Telle une graine, le dessin de l’atemoia est lui-même mis en croissance, chaque impression découpée venant par assemblage s’étendre par le prolongement en feuilletage de reproductions d’échelles plus grandes. Aussi, le dessin dans sa totalité n’est-il apparent que sur le point le plus réduit de l’installation, point si infime et lointain qu’il en est imperceptible, tandis qu’au plus près du spectateur, l’accroissement démesuré des lignes détruit toute image jusqu’à ne mettre en présence que d’une masse sombre, floue et fragmentaire. Cette répétition du même génère ainsi de la différence, une diversité de textures, de dynamiques et d’évocations : au gré des assemblages, d’autres dessins germinent ou s’actualisent, contenus dans le dessin-source telles des virtualités, ne se découvrant que dans le mouvement empirique de leur développement. Bien que là de toutes parts, la figure de l’atemoia n’est plus une forme identifiable, elle donne lieu à une dynamique qui excède la reconnaissance du fruit, et a pu réveiller l’imaginaire du flux, fluide ou respiratoire, du battement d’aile ou d’air, animal et nuageux, solaire et sous-terrain, interne et externe, organisé et chaotique, dans une indécision qui unit les contraires en une atmosphère englobante, incluant aussi le regardeur dans ce qu’il regarde. Tout en étant contenu entre les murs, ce dessin du fruit atemoia en déploiement, devient lui-même un lieu, contenant, à la fois clos et ouvert, dans cette réversibilité par laquelle Emanuele Coccia (dans sa « Théorie de la feuille ») définit le climat, où le monde est unitaire.
Assimilant l’immense et l’infime, la partie et le tout, cette installation immersive pourrait être comparable aux fractales, structure génératrice dans la nature et géométrisée dans le champ des nouvelles technologies, mais ne l’est qu’irrégulièrement. Si la numérisation est une part du processus, cette logique de croissance progressive est activée par une seconde, jouant de l’accidentel et de l’errance, dans la rencontre sensible avec l’espace existant. Le dessin de l’atemoia n’est déployé que par un corps qui s’y anime en en suivant les dynamiques, autant qu’il s’y épuise ou dépasse, de la minutie concentrée au lâcher de l’extension sur la durée. Ce prolongement incarné des processus vitaux du fruit vient aussi reconfigurer et redéfinir l’espace architecturé investi. Les installations Poros, à partir du dessin d’une pierre de lave, donnent lieu à des recouvrements eux-mêmes poreux ; Stratus, à partir d’un schiste s’effritant, à une stratification à la lisière de l’effondrement ; Cristal à un éclatement des blocs angulaires structurants… Au fil des cinq versions d’Atemoia, des panneaux ajoutés viennent briser les angles, ouvrir des trouées pour en faire saillir des formes, rendre impossible à localiser les murs, sol et plafond, déstructurant l’architecture ou la restructurant selon une autre logique, en un feuilletage organique extensif.
Les éléments adjoints sont souvent récupérés localement. Dans Atemoia 4, il s’agit de planches et socles trouvés au Centre d’Art Contemporain du Luxembourg Belge, dans leur réserve grandissante au fil des ans, dont les résidus gardent trace des expositions précédentes qui ont participé de son développement. Ces plans et blocs, initialement de composition orthogonale, sont positionnés de biais, en équilibre, ou taillés obliquement, pointant comme les reliefs de l’atemoia, géométriquement transcrits. Ces structures se superposent et s’enchevêtrent, à mesure que les feuillets de papier imprimés s’y chevauchent également, et que le corps y entre et l’arpente pour trouver place dans les recoins les plus éloignés puis s’en dégager pour transiter encore ailleurs. Tel du lierre réagissant diversement aux particularités des murs, le dessin se développe en s’adaptant aux aspérités de l’espace, pour découvrir aussi progressivement des possibilités accrues dans l’agencement des feuilles, jouant de strates et dépassements, créant des passages d’un volume à un autre, tout en marquant les différences de plans en d’autres points. Et c’est à mesure que le dessin croit, que la transformation architecturale s’opère, avec des tâtonnements, placements et déplacements, intégrant les expériences précédentes pour les développer. Les murs, sol et plafond deviennent vibration, les tracés avancent ou reculent, optiquement ou réellement, et l’espace apparait insituable, impossible à discerner.
A partir de la croissance végétale rapportée au médium dessin et à l’espace bâti, ce jeu d’adaptation réciproque ouvre à une approche transitoire de l’architecture. Étendu à l’échelle d’une pièce, le processus erratique et constructif du dessin déstabilise et régénère la structure architecturale pour mettre en exergue autant qu’en crise ses processus de formation et d’appréhension. Le cheminement des lignes vibratiles, transcrivant recherches, flux, traversées, se déploie en un environnement à arpenter, dans une expérience instable où basculent les repères orthonormés. Les feuilles imprimées, posées en quantité sur le sol, où le visiteur est invité à circuler, ne sont d’ailleurs pas fixées et peuvent réagir par de légers glissements. L’expérience au Brésil, où le fruit atemoia fut prélevé, porte une dualité de processus, rencontrés dans le même temps : celui d’une grande fertilité et diversité végétale, avec la présence récurrente de fruits vendus aux abords des routes; et celui d’une précarité architecturale, les étendues de favelas aux assemblages composites et fragiles, à l’échelle des paysages de montagnes ou mêlées aux immeubles au cœur de grandes villes, et les tas de matériaux de construction laissés à l’abandon du fait de chantiers interrompus, marquant l’esthétique urbaine et la manière de se déplacer. Le regard focalisé sur la forme de l’atemoia découvert sur l’étal d’un supermarché, cristallise en miniature une relation à l’environnement éprouvé. De la même manière que le dessin cherche à être au plus près de son sujet pour ne devenir qu’une répétition de ratures restituant in fine une vitalité du processus; sa mise en croissance jusqu’à l’échelle d’une installation opère en même temps une déconstruction architecturale pour exprimer les dynamiques et transformations qui traversent un lieu. Telle la suite d’un feuilletage d’échelles entre le petit et le grand, la partie et le tout, le détail est mis en tension avec le global, entre croissance et décroissance.
L’installation propose dès lors une immersion dans un espace qui, plutôt que structuré par des limites et plans orthogonaux, traduit l’extension croissante d’un motif végétal qui produit son propre espace, par adaptation à/de l’existant. A la fois illusionniste et illusoire, cette expérience d’une spatialité organique n’existe que dans sa tension avec une décroissance architecturale, entre précarité et bricolage, et une vidéo, diffusée à proximité de l’entrée de la pièce, montre autant l’invasion progressive du dessin que le processus de construction/déconstruction du bâti. Le mimétisme processuel est aussi lieu d’émergence critique, dans une ambiguïté sensorielle qui persiste devant la présence fixe de l’installation. Y entrer, c’est à la fois y être happé et repoussé, dans un mouvement réflexif, trouver place ou donner place.
Immersion dans un espace critique, cet incertain esthétique prolonge une instabilité poïétique. Le corps en acte réside dans le mouvement de son installation provisoire : un habiter transitoire, sans habitat pérenne, qui réactive sans cesse son processus d’habitation, chaque mouvement étant son développement autant que sa mise en crise, au risque de déséquilibres, basculements des plans structurant/destructurant l’espace en cours de constitution. Cette instabilité excède la production d’une installation et s’étend à un processus élargi, incluant des déplacements de lieux en lieux. A nouveau telle une graine, à une autre échelle, le même dessin-matrice Atemoia (Juazeiro) a donné lieu à cinq installations différentes, et pourrait l’être encore ailleurs indéfiniment, disséminant ses possibles en des espaces et temps distincts, reliés en soubassement par cette même origine.
Les facultés de croissance indéfinie de certaines plantes et de reproduction par dissémination de semences, trouvent là résonnance, dans le champ artistique, avec un dispositif qui dépasse le site d’une seule installation pour englober une durée et spatialité plus étendue, potentiellement d’une étendue indéterminée. Si Atemoia a son ancrage contextuel au Brésil, l’installation se réactualise de manière transverse par des implantations dans d’autres lieux spécifiques. Aussi la quatrième version au CACLB, au sein de l’exposition Y Croître, abordait des enjeux locaux actuels, le centre d’art étant situé dans des containers et un ancien bureau des forges, sur le site des ruines de Montauban, dans une forêt qui fut fermée du fait de la peste porcine, partiellement rouverte, dans l’inconnu des décisions à venir.
Aussi le processus dépasse souvent la production d’une seule installation, et trouve sa suite dans plusieurs espaces, où le même dessin évolue, s’enrichit aussi des résidences récemment vécues, et se reconfigure selon le nouveau site. Tout en développant une approche contextuelle très ancrée, des lignes traversent les différentes résidences et avancent – en jouant d’aller-retour – par l’adaptation aux particularités de chaque lieu. L’ailleurs se poursuit ici puis en pointillé encore ailleurs, et découvre des résonnances transversales d’un espace à l’autre. La croissance, qui est enracinée chez les végétaux, s’étalant en réseaux, est dans ce processus nomade de création, une expérience d’enracinement-déracinement, qui dans sa répétition, devient une modalité d’existence. La coïncidence de la partie et du tout se prolonge des entrelacs entre coupure et continuité, proche-lointain, ailleurs-ici (F. Jullien). »