Cinis 1, 2021

Installation, modules en PVC forex imprimé du dessin Schiste de cendre magmatique (Pointe de Séhar) / Exposition Cinis, Galerie du Dourven, Pointe du Dourven, Lannion Trégor / Lien vidéo.



CINIS, telles les cendres magmatiques stratifiées dans la pierre dessinée, telles les traces éteintes et survivantes d’un passé vivace et incandescent, telle la pulvérisation et persévérance de l’existence humaine au regard d’échelles géologiques immenses…
Découvrant la pointe du Dourven en décembre dernier, Anaïs Lelièvre l’a habitée en pleine tempête. Au sommet d’un milieu tourmenté, la maison fit rempart pour dessiner en creux un espace de protection, et désigner par cette image vive une ontologie de la demeure comme résistance, forte car fragile. Oscillant entre dehors et dedans, confrontation et repli, risque et insistance, l’artiste partit de marches erratiques explorant la presqu’île et ses alentours pour en venir à creuser son passé géologique, archéologique et architectural. La géologue Odile Guérin lui fit récit de la formation du site, de la tectonique des plaques, et du magma devenant lave ou granit, jusqu’à l’érosion qui fit disparaitre l’immense montagne volcanique. A la pointe du Douven, il ne resterait de lave que la toiture de la petite maison de garde. Le maire lui ouvrit les portes de l’église de Locquémeau où d’anciennes pierres tombales composent le sol de lave. Et à la pointe de Séhar, à proximité du dit “château” de schiste, un habitant lui fit visite de son hangar bâti sur des laves faisant mur, à la lisière de l’effritement.
Au regard des strates volcaniques qui précédèrent l’intrusion du granit à la pointe du Dourven, l’artiste préleva une pierre de lave. Trouvé au niveau de l’ancien site archéologique recouvert à la pointe de Séhar, ce témoin de processus à grande échelle spatiale et temporelle, permet de se projeter imaginairement dans le paysage passé du Dourven (autant que dans ses devenirs fantasmés si des volcans venaient à se reformer). Par son relief pointu, dessiné de face, ce roc extrait apparait comme une figure insulaire, un fragment à l’image de son contexte : d’entre leurs strates, s’entrelacent le caillou et la montagne, le petit et le grand. Ce schiste de cendres magmatiques, composé et brisé, solide et érodé, contient en ses lignes résiduelles les restes d’une histoire très lointaine. Le dessin, qui en retrace les flux, vient s’amplifier par multiplication et agrandissements croissants, pour submerger la galerie et ses visiteurs, au sein d’une installation pénétrable car pénétrante, entre flots sous-marins et falaise écumeuse, éruption volcanique et grotte mystérieuse, nuage de cendres et émergence d’une architectonique, au risque de sa disparition. Par cette stratification de temps et d’espaces, l’œuvre est mise en scène d’une mise en cendre, distanciation d’une incandescence, dramatique et critique, catastrophe et existence.


Notes en résidence / Pointe du Dourven : « La petite maison qui tient ferme. Existe - résiste - insiste. Assez carrée, comme rentrée au dedans. Au milieu du monde, tempétueux. Qui dit l’existence. Cette petite maison sur la presqu’île, d’où j’ai vécu la tempête externe. Entre forme (maison) et flux (dessin autour). “Contient” les flux et résiste ferme. Méta-installation, au dedans. Image de l’archi-galerie, qui tient encore dans sa submersion. Plafond net, droit, épuré. Le dehors matiériste. La lave qui pourrait refluer, passé-devenir, permanence à grande échelle. […] Un décor de théâtre, sans personnage. Le lieu est son propre drame. De la même manière que la tempête arrachante de 2008 a aussi révélé des strates archéologiques fécondes, soulever les murs lisses de la galerie pour mettre à jour des feuilletages géologiques anciens, l’irruption de la lave. […] Là où les strates ne sont pas que délitement mais dévoilement de couches, fonds sous-jacents. […] Destructeur-révélateur. […] Pointes du vent. Strates soulèvement. […] De la pierre de lave, dure, aux flux vifs du magma. Rentrer comme à l’intérieur d’une poche magmatique. Devenir lave ou granit. »


Odile Guérin (géologue spécialiste de l’étude des littoraux) : « Il y a environ 600 millions d’années, le Trégor et le Goëlo ont connu une intense activité magmatique qui s’est manifestée par la mise en place de granites (entre Perros-Guirec et l’île de Bréhat) et des laves (entre Locquémeau et Paimpol, mais surtout bien visibles à Locquémeau). Déposées horizontalement, ces laves ont été redressées verticalement lors de la formation d’une puissante chaîne de montagnes dont les sommets devaient être comparables à ceux de l’Himalaya (chaîne hercynienne entre 400 et 300 millions d’années). Dans les racines de cette chaîne, autour de 300 millions d’années sont montées des poches de magma qui ont notamment donné le granite du Yaudet visible au Dourven. L’érosion a fait disparaître ces montagnes dont nous voyons aujourd’hui les «entrailles». »


Joël Le Jeune (maire de Trédrez-Locquémeau), Skeudennou dec’h Tredrez ha Lokemo : « Compte tenu de sa position stratégique, la pointe du Dourven a été fortifiée à différentes époques. On y a découvert les restes de fortifications gallo-romaines. A la pointe, une batterie est toujours en place, élevée au XVIIe ou XVIIIe siècle, pour la défense contre d’éventuels agresseurs anglais. Ce fortin est une belle construction rectangulaire en granit couverte d’un toit en lauzes de schiste, en flanquée d’une guérite circulaire ».