Stratum 3,4,5,6,7,8, 2019-2021

Stratum 3, 2019, installation, modules en PVC forex imprimé du dessin Schiste argileux (Sion) / Exposition Stratum 3, résidence Usine Utopik, DRAC Normandie, Collège Lavalley, Saint-Lô.
Stratum 4, 2020, installation, modules en PVC forex imprimé du dessin Schiste argileux (Sion) / Exposition Des marches, démarches, FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, Marseille, commissariat Guillaume Monsaingeon.
Stratum 5, 2020, installation, modules, PVC forex imprimé du dessin Schiste argileux (Sion) / Résidence Galerie Hors-Cadre, DRAC Bourgogne Franche-Comté, école de Villefranche-Saint-Phal.
Stratum 6, 2020, installation, modules en PVC forex imprimé du dessin Schiste argileux (Sion), assemblage métallique / Art-exprim, festival Arts en espace public (résidence Valentin-Abeille, Porte de la Chapelle, Paris) / Exposition Jeune création, 2020, Galerie Thaddaeus Ropac, Pantin - Lien vidéo / Exposition Habiter maintenant ?, 2020, Espace art-exprim, Paris / Poush, Manifesto, Clichy, 2021 - Lien vidéo / Nuit blanche des enfants, Art-exprim, Mairie de Paris 18ème, 2022.
Stratum 7, 2020, installation, modules en PVC forex imprimé du dessin Schiste argileux (Sion) / Production CNAP / Exposition Stratum 7 : ancrages/traversés, Galerie La Ferronnerie, Paris (combinaison des modules Stratum 3 et Stratum 7).
Stratum 8, 2021, Installation, modules en PVC forex imprimé du dessin Schiste argileux (Sion) / Résidence DRAC Centre-Val-de-Loire, Lycée agricole Bourges-Le Subdray.



Stratum 3 - Notes en résidence / Saint-Lô : « Saint-Lô, ville bâtie sur et avec du schiste. Comment construire et fortifier avec un matériau qui se délite. Du schiste qui s’effrite (Sion) au schiste qui fait remparts. Comment le friable fait structure, ou comment la texture fait tenir sans structure. Le réemploi des bâtisses détruites sous les fractures du béton. Des fines strates minérales aux grandes strates du temps et de l’espace architectural. Être à l’intérieur de l’église comme à l’intérieur d’un schiste. Des immeubles formés de plans qui se décalent en façade, des toits en pente non alignés et complexifiés de succession d’ardoises, lucarnes inclinées et cheminées planes. Des configurations imbriquées des murs-toits-escaliers dans la ville. Bâtir des plans avec des plans. Toute la ville comme strates. Reconstruction bétonnée d’une modalité médiévale. La bascule des temps, d’un pas à l’autre, l’enchâssement des plans. Reflux de Sion. Transversalité architecturale. Un jeu de construction modulaire, dont les strates en plastique souple, étrangement livrées déchirées, ne se tiennent que par leurs encastrements respectifs. Mouvance de la ville comme articulation. Syntaxe-écriture de l’habiter. Entailles du bâti. Et des chutes au sol. Croissance cumulative. Et ce schiste qui persiste. L’entrelacs des espaces-temps. D’une résidence à l’autre, et au-dedans et à travers l’autre. Après les lignes de fuites deleuziennes. En lisant Kristeva (Le langage, cet inconnu), en écoutant Tschumi (architecture-langage), en visitant les cartographies aux Archives nationales. »


Par sa reproduction numérique avec des rétrécissements et agrandissements progressifs, un dessin-source, de petit format, est réactivé pour déployer une multiplicité d’espaces. Tracé par couches successives (au crayon puis au stylo fin puis épais), Schiste argileux (Sion) figure les strates d’une pierre de schiste arrachée d’un mur en bordure de Sion lors d’une résidence en Suisse. Ramassant différents niveaux d’échelle, l’exploration du Valais fut autant marquée par la marche sur le sol instable des glaciers et la documentation sur le risque sismique local lié aux failles des plaques tectoniques.
Mis en place dans ce contexte, Stratum 1 recouvrait la totalité de l’atelier de strates de bois puis de papier imprimé jusqu’à tendre à un effritement de l’espace architectural. Tel l’arrachement d’un fragment de Stratum 1, Stratum 2 en fut la version réduite adaptée à l’espace d’un angle. Stratum 3 est issu de la rencontre de Saint-Lô, ville bâtie avec du schiste sur une colline de schiste, dont les remparts de schiste résistèrent à la destruction massive de la guerre. Elle fut reconstruite par réemplois couverts de béton qui dorénavant se fissure en plusieurs lieux, et selon des agencements complexes de plans rythmant son urbanisme (ravivant dans ma mémoire certains principes formels de la ville médiévale de Sion). Pour aborder cette transversalité des contextes et la persistance du schiste basculant de la friabilité à la construction, le dessin Schiste argileux (Sion) fut remis en jeu, évoluant d’une installation éphémère de papier à une installation modulaire en PVC. Les formes découpées furent puisées dans l’architecture de Saint-Lô, mais évoquèrent in fine les reliefs montagneux et glacés du Valais, les paysages noirs et blancs des volcans enneigés d’Islande, les germes cristallins de l’installation Cristal produite au retour d’une résidence au Brésil, les pinacles de l’installation modulaire Pinnaculum à Toulouse puis Cahors, les maisons basculées dans l’installation Cargneule sur le territoire sismique de Sospel… Entre Stratum 1 et Stratum 3, le fil de recherches sur le “chantier”, croisant archéologie et construction, a émergé de la découverte du quartier Atlantis à Massy, puis s’est développé en un parcours articulant plusieurs résidences et expositions à Port-de-Bouc, Cahors et Loupian.
Tel un quatrième temps de ce parcours nommé Chantiers, Stratum 4 intègre dans son dispositif ce phénomène de résidences, marches et contextes qui se stratifient dans la lenteur souterraine d’une démarche : des strates qui, plutôt qu’elles se succèdent selon un axe chronologique, se croisent tels des pans enchâssés, imbriqués, qui se traversent les uns les autres et brouillent les repères entre le proche et le lointain, le même et le distinct. Les formes tranchées et encastrées sont issues de tous ces lieux traversés en résidences, réactivés dans un processus mémoriel. Si les premiers modules découpés faisaient chacun distinctement référence à un contexte identifié (par exemple les pinacles du cloître du Musée des Augustins à Toulouse), peu à peu d’une intention de forme résultaient d’autres évocations (comme l’effet cristallin des maisons basculées, reliant étrangement Sospel et le Brésil), jusqu’à ce que ces ambiguïtés deviennent jeu, faisant se mêler plusieurs références devenant indiscernables dans le flux de la découpe. De l’inventaire ou collection au terrain de jeu, entre fouille archéologique et fragments prospectifs, les chutes résiduelles furent récupérées pour construire d’autres modules, générant de nouvelles formes, issues en négatif des premières.
Cette modalité de fabrication, qui émergea au fil du processus, réactualise l’expérience des architectures précaires rencontrées au Brésil et des tas de matériaux de constructions en cours ou inachevées, si nombreux sur les trottoirs qu’ils marquaient le paysage urbain et réorientaient la manière de marcher. Les références glissent des formes dessinées aux modalités, modes d’existence, rapports dynamiques, rejoués dans la poïétique globale de l’installation. Le “chantier”, qui ne parvenait à bien se formaliser en une figure découpée, est finalement celui du processus inachevable de sa propre tentative. Les formes des modules cherchant à l’évoquer pourront encore être retaillées autrement. Entre stratification archéologique et construction architecturale, le chantier réside dans le dispositif d’ensemble, à la fois rétrospectif et évolutif. L’installation fut bâtie au retour d’une seconde résidence en Islande, où l’attention se focalisa sur les étranges imbrications de maisons préfabriquées, venues d’ici ou d’ailleurs pour l’urgence de relogement lors d’éruption, et qui composaient de feuilles de tôle un village entier.
Cette installation, sorte de boîte d’archives devenant telle une valise, est amenée à vivre elle-même le nomadisme qu’elle documente. Les modules, désemboîtés, transportés à plat, se redéploieront autrement lors de prochaines installations en d’autres lieux. Au fil de résidences à suivre, de nouvelles formes seront produites, et celles existantes pourront être réagencées, réduites ou augmentées en nombre, voire recoupées et réassemblées en d’autres compositions transitoires. Étendu en un espace modulaire, le dessin y est activé comme flux, non tant tracé cartographique du déplacement d’une marche linéaire ou erratique, mais flux traversant toutes les marches effectuées et à venir, et qui en traverse les strates historiques. Tel un labyrinthe non seulement spatial mais temporel, et qui resterait fluctuant, cette version provisoire est appelée à se reconfigurer à chaque apport d’une nouvelle strate contextuelle. Cette installation passagère et pérenne est une maison-montagne, à la fois marche et habitation.


Stratum 5 fut produit dans une école en milieu rural. « Je n’ai pas de voisin. » « Ma maison est abandonnée… » Des enfants aux maisons éloignées, disséminées à travers champs. Bâtir un abri commun, composé de références partielles à la maison de chacun. Trouver et mettre en acte des principes d’agencement. Chaque maison dessinée devient tel un puzzle ouvert, un jeu de construction, à assembler, repositionner…. De manière inopinée, les enfants ont saisi les chutes des portes et fenêtres découpées, tentant de les replacer ailleurs, autrement. En suivre le mouvement, inscrire des encoches dans ces formes mobiles. Et laisser faire, réaménager, habiter, co-habiter.


Stratum 6 croise le dessin d’une pierre de schiste se délitant d’un mur (découvert en 2018 lors d’une résidence dans le Valais), au contexte d’un immeuble de logements sociaux, qui sera partiellement détruit, partiellement transformé, dans le cadre d’un projet de réaménagement du quartier Gare des Mines (la résidence Valentin-Abeille, en bordure du périphérique parisien, explorée en août dernier). Entre deux sites, deux matérialités et deux échelles, la transversalité d’une instabilité architecturale et d’une expérience critique de l’habiter.
Ce dessin-source, produit en 2018, est de multiple fois réactivé, confronté à plusieurs contextes, pour donner lieu à une suite d’installations se stratifiant dans la durée, entre construction et effritement, dissémination et rassemblement. Dans cette continuité, Stratum 6 présente des formes spécifiques en échelle, schématisant les façades de la barre en L Valentin-Abeille, et celles des ensembles de buildings vers lesquels sa hauteur donne vue.
Entre muralité et passage, ascension et chute, échelle petite et grande, spatiale et sociale, ces éléments assemblés font apparaître un espace de jeu, en réponse à celui que réclamaient les enfants rencontrés dans cet immeuble. Le public est invité à entrer à l’intérieur pour déplacer ces modules et reconfigurer cet espace collectif incertain, à mesure des mouvements de chacun. Les barrières deviennent portes activables ou vice-versa, le corps contraint et la contrainte mouvante, la clôture traversée du vivant, l’habitat fluctuant.
L’installation fut conçue à partir d’ateliers avec ces habitants de la Porte de la Chapelle, et produite dans le même temps au sein de l’atelier à Poush. Chaque jour de la résidence, le projet se dessinait dans l’alternance d’un atelier à l’autre, dans les flux vifs entre deux portes du périphérique : une expérience flottante de l’espace, oscillant entre local, transversal et non-lieux habités. Jouant par les fenêtres d’une mise en regard entre les barres d’immeubles, et d’une mise en abyme du dehors au dedans, cette réinstallation ouvre les portes et restitue rétrospectivement l’étrange sensation, dès l’arrivée à Poush, de s’installer un temps dans un espace périphérique et fluctuant.


Dans une recherche de synthèse, les modules Stratum 7 sont construits par encastrement de formes taillées en pic et de leurs contreformes : ils sont creux et pointes, unitaires et duels, maisons et montagnes, chute et élévation.


Stratum 8 - Notes en résidence : « La cathédrale de Bourges, hauteur imposante et fragile : la multiplication vertigineuse des pinacles affirmant une poussée vers les hauteurs autant qu’un possible déséquilibre ; les pierres crevassées et fissurées composant encore des muralités ; les chutes et renforts, la perte de la flèche, l’effondrement de la tour Nord et sa reconstruction ; et le redoublement de la structure architectonique par des murs d’échafaudages pour sa restauration actuelle. L’architecture formée de ce que dynamise sa détérioration. La forme ambivalente de la pointe, puissance et finesse, percée et basculement. Le récit de l’activité militaire que l’on m’a conté en traversant dès la première fois la douce étendue des champs fertiles du Berry. Production d’armes et de missiles, stockage dans les forêts à proximité, essais de tirs dans les champs. Vibrations micro-sensibles quotidiennes. La coexistence dans un même espace, entre les champs visibles et invisibles, de la poussée, croissance, vitalité, issues de la production agricole, et du danger potentiel de l’armement guerrier. Croisant architecture, agriculture et armement, la coprésence d’une force ambitieuse de transformation à l’épreuve de risques, et d’une fragilité d’existence qui est aussi puissance de résistance. Construire de grands espaces à partir d’éléments fragiles, à la lisière de la catastrophe et de l’altération. Les pointes s’inclinent, toutes vers l’avant, désignant leur chute possible, et se tiennent ainsi. »


Alexandre Colliex, « Stratum ».
« Après même les révolutions de la modernité et la tabula rasa à répétition des avant-gardes, le dessin semble avoir conservé dans l’imaginaire collectif un statut à part. Il serait resté une pratique intime de l’artiste ou bien le laboratoire de sa création. Dans le cours d’une modernité qui a jeté le soupçon sur la main de l’artiste, qui souvent même l’a répudiée comme outil légitime, lui préférant le processus industriel, l’usinage, le dessin est apparu à contre-temps tant il conserve vivante l’indéfectible relation de la main de l’artiste à l’œuvre. Quand l’image même était défiée, le dessin restait le medium de son humble surgissement sur la page.
Naturellement, les pratiques contemporaines du dessin ont mille fois démenti cette vision persistante. Et pourtant, rares sont les artistes qui ont pleinement intégré le dessin à l’installation ou l’ont éprouvé à l’échelle architecturale. Sol LeWitt est notoirement de ceux-là. Et citer son nom au seuil de ce projet dit d’emblée l’ambition, la rigueur et la rareté du travail investi depuis trois ans par Anaïs Lelièvre.
A travers la série Stratum, commencée lors d’une résidence à Sion en Suisse en 2018, et ses diverses déclinaisons comme autant d’explorations menées plus avant dans une voie reconnue propice, Anaïs Lelièvre a bel et bien engagé sa pratique du dessin dans une confrontation avec l’architecture et la pratique de l’installation. L’auguste référence à Sol LeWitt et ses Wall drawings doit s’entendre à cette aune seulement tant les actions et les objectifs poursuivis par Anaïs Lelièvre en diffèrent. Sa méthode est moins mathématique que géologique ; la surface des murs et sol devient le lieu d’émergence de reliefs labyrinthiques ; et le concept de son cheminement engage son corps d’artiste dans l’espace qu’elle a parcouru comme dans celui qu’elle nous donne à explorer.
Le caillou et la caverne
Le travail graphique Stratum développé par Anaïs Lelièvre depuis 2018 est paradoxal. A la fois mimétique et abstrait : il part de l’observation d’une pierre de schiste détachée d’un de ces murs de pierres sèches dont les paysans du Valais ont terrassé leurs coteaux. Reproduit, rétréci et agrandi jusqu’à l’affirmation du trait, le dessin est alors manipulé par Anaïs Lelièvre sous le format d’impressions numériques, qui deviennent la matière première d’installations dans l’espace. Acte de transmutation qui redonne à la pierre dessinée l’utilité d’un matériau de construction. Le caillou est alors étiré aux dimensions d’une caverne et le dessin quitte la feuille pour envahir l’espace.
Superposition de lignes, de points, de grattages, d’impacts et d’écritures, les dessins-sources cherchent, selon les contextes, à restituer le schiste stratifié du territoire sismique des Alpes valaisannes, le marbre pulvérisé de Naxos, ou encore les pierres poreuses d’Islande lors d’une résidence dans cette île volcanique en hiver 2015-2016, ou bien même les gemmes cristallines d’une géode ramenée d’une résidence au Brésil. Au-delà de la collecte du fragment géologique dont le dessin tend à conserver le témoignage en référence au croquis de géologue, le changement d’échelle, l’étirement des lignes suggestives d’une représentation cartographique trahissent l’importance du cheminement dans le paysage.
En passant du dessin à l’installation, l’enjeu pour Anaïs Lelièvre est alors de subvertir l’espace d’exposition. Par la manipulation du dessin, sa prolifération organisée, elle remet en cause l’orthogonalité des plans et nous plonge dans un espace inédit. A la joie enfantine d’explorer une grotte inconnue s’ajoute le plaisir de perdre pied dans un espace que nous ne reconnaissons pas et qui échappe à l’angle droit.
La méthode et le matériau
Cette entreprise de déstabilisation, Anaïs Lelièvre l’avait d’abord engagée par une méthode d’accumulation qui n’était pas sans rappeler le mythique Merzbau hannovrien de Kurt Schwitters. Matériaux « pauvres », objets de récupération, bois, carton et papier constituaient l’armature d’un espace aux angles aigus, relief accidenté hérissé de surplombs et stalactites que le dessin venait couvrir en parachevant l’entreprise de déstabilisation par l’étirement de lignes vives. Ainsi à Naxos, dans sa résidence à la Bazeos Tower, au Centre d’art contemporain du Luxembourg belge et à Sion, la perte de repères, la métamorphose de l’architecture était obtenue par l’agencement oblique d’objets trouvés et par leur camouflage à partir d’un dessin-source déployé. Labeur acharné qui impliquait le corps de l’artiste dans une véritable construction, la charpente de bric et de broc disparaissant sous un travail de dentelière par le collage infiniment délicat des milliers d’impressions du dessin matriciel.
Un nouveau modus operandi s’est mis en place lors d’une résidence fin 2019 à Saint-Lô (ville bâtie de schiste) puis développé lors d’une exposition au FRAC PACA à Marseille et lors des résidences qui ont suivi. A l’empilement de matériaux de récupération, se substituent les formes usinées en PVC sur lesquelles le dessin-source se trouve imprimé. Loin d’être anecdotique, cette remise en cause du processus créatif et la maitrise d’un nouveau medium modifie le sens même de l’œuvre qui affirme sa proximité avec l’espace architectural et théâtral. La multiplication de modules prédéterminés permet désormais d’envisager la création d’un espace largement modulaire et évolutif, par sa manipulation et redéfinition au fil des présentations. L’œuvre finale ressort moins du bricolage que de la mise en scène.
La version présentée à la Galerie La Ferronnerie apporte la synthèse de cette évolution et dans le même temps poursuit l’exploration des effets scéniques permis par ce nouveau matériau, les multiples modules pouvant être diversement reconfigurés par l’artiste. Selon cette même méthode de l’utilisation d’un dessin-source recombiné, une partie de l’espace de la galerie est modifiée afin d’en bouleverser la perception dans une expérience qui a trait au spectaculaire et au jeu sans s’y réduire. Dans l’espace même d’exposition, les modules en PVC de dimensions variables induisent une perte des repères jusqu’à transformer radicalement l’appréhension visuelle et physique du lieu.
La scène et la strate
Mais plus encore que l’affirmation du potentiel scénographique de cette nouvelle pratique, le projet offre la synthèse de la démarche développée par l’artiste depuis deux années à travers la série Stratum. En effet, ce travail est une démarche au sens littéral du terme, stratifiée dans l’espace et le temps. Au commencement est la marche de l’artiste à travers chacun des territoires où elle invitée à intervenir, à créer, à partager avec le public.
Matrice de l’œuvre, le schiste (pierre composée de strates) est un fragment géologique du canton du Valais qu’elle a partiellement parcouru à pied lors de sa résidence. Anaïs Lelièvre trace le portrait même de ce caillou qu’elle extrait et rapporte, et à travers lui le portrait du territoire traversé, tout autant stratifié : couche instable des glaciers arpentés, fragilité des plaques tectoniques avec risque de séisme renouvelé… Et de ce portrait elle érige une grotte intérieure, non moins mystérieuse, et dont chaque ligne semble une courbe de niveau.
Des photographies prises par l’artiste témoignent de cet engagement physique au sein du territoire parcouru à pied. Et si Anaïs Lelièvre ne se réclame pas expressément des pratiques désormais fameuses de Richard Long, son engagement n’est pas sans affinité avec l’artiste anglais faisant œuvre en parcourant le territoire selon les protocoles établis par avance et consignant ses propres déambulations sur la carte comme dans l’espace par le prélèvement de pierres, ou bien au contraire par leur accumulation en cercles, ou bien encore par l’érection d’un cairn discret. De cette affinité, de ces territoires mesurés en heures de marche, des photographies en portent témoignage. Ainsi celle du glacier d’Aletsch, en écho au mur argileux où fut prélevée la roche dont le dessin a capté la structure. Infiniment troublante est la proximité formelle entre le paysage saisi dans son ensemble, entre ce glacier démesuré avec ses lignes, ses arrêtes de glace noircie, ses failles et ses crevasses, et les stries graphiques de la roche dessinée, puis leur traduction à l’échelle de l’installation. »